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samedi 19 mai 2012


Nuit l'habitable
Luce Guilbaud


Peinture et poème, Nuit l’habitable, commence par la vision de la première mi­niature (1.Nuit dans la chambre du Roi) du manuscrit ‘Coeur d’amour épris ‘ de René d’Anjou. Ainsi, par le regard, Luce Guilbaud, peintre et poète, nous fait entrer par la miniature, précieuse, raffinée, dans le livre de sa contemplation, ayant dès lors commencé à entrelacer autant pour nous que pour son propre plaisir sa voix à celle plus ancienne de ce récit d’amour courtois et malheureux.    
Récit qui plonge ses racines dans un rêve douloureux que le dormeur au réveil s’applique à retranscrire (Songe d’un Roi rêve d’aventure d’amour).
Avec Nuit l’habitable, Luce Guilbaud renouant avec l’expression du sentiment amoureux telle qu’elle a été créée par les poètes du Moyen-Age (quête et rituali­sation, personnification des sentiments qui donne au récit sa forme allégorique, qu’induit également le rêve.) ne s’ identifie pas pour autant à celle-ci. Non seu­lement l’époque n’est plus la même mais celle qui parle est ici l’amante. D’ ob­jet de la quête, servie par l’homme afin de conquérir et son coeur et son corps, elle est devenue sujet. Quand le roi René nous livre le rêve d’une nuit, dont il sort éprouvé, l’amante, elle, tisse le rêve qui rend la nuit habitable, suggérant que l’objet de la quête n’est ni l’homme ou la femme, mais bien l’amour…

« Ce serait quand l’instant premier de l’amour ?
Quand ?
On ne le sait jamais »

Dans cette question et dans sa réponse définitivement ouverte se tient une part essentielle du poème. L’existence de l’amour ne peut pas plus être éludée que saisie. Les pourquoi et comment, les causes avec lesquelles tant de roman­ces s’écrivent chaque jour cachent une réalité infiniment plus riche, que les poè­tes du moyen âge avaient eux aussi entrevus : si l’amant ou l’amante n’a jamais la certitude absolue de la réalité de l’amour, si les causes qui l’ont engendré ne donneront jamais la preuve tant cherchée, irréfutable de vérité, l’art d’aimer, lui est digne d’être acquis.
Long poème d’amour , Nuit l’habitable, parle de cette quête. Et de ses consé­quences irréversibles.

« le coeur cherche son rythme
ne sait pas qu’il est rouge qu’il est sang. »
Essentielle, la force d’attraction est telle qu’il est vain d’y résister. L’aventure d’amour a commencé ! Transitoire la nuit est habitable, mais qui voudrait y demeurer s’y perdrait . A peine l’amant/ l’amante croit avoir trouvé un refuge , abordé une terre, qu’une rencontre, un obstacle, une catastrophe naturelle l’en chasse. L’amour ne se possède pas.
Nous sommes ici très loin des clichés actuels (ni crudité facile, ni morbidité, ni boulimie ou anorexie de sentiments, fausse pudeur… ). Le poème ne cherche pas le scandale.
La légèreté n’en est pas chassée comme une intruse, et si souvent elle en est ab­sente c’est à cause de l’impuissance, de la peur d’aimer qui nous menace tous. La quête est longue, difficile. Le doute est un ennemi redoutable qui se cache aussi bien dans Tristesse, Mélancolie que Jalousie.

« On a vu des fleuves sortir de leur lit
Pour entrer dans la gorge
Ne reste que la boue et le trouble »

La profondeur où descendent les amants ne reflète rien, c’est un intime que l’on ne peut révéler. Si le noir est possible c’est bien que les amants sont séparés et dès lors ce n’est que de cette séparation qu’il est question.
Heureusement entre la poésie et l’amour le lien n’est pas rompu. L’amour avec ses saisons, ses déraisons, ses cris, son exubérance, son charme, sa chair, ses fruits, la vie la mort toujours en lui, par lui entremêlées, parfois si distinctement que les amants s’y blessent, criant à la division, à la trahison, d’autrefois si bien confon­dues qu’ils ne craignent ni l’une ni l’autre.
La quête a cette vertu qu’elle donne des réponses que l’on ignorait chercher.

« dès maintenant j’entre je suis entrée
dans l’autre temps. »

S.P (note d’éditrice)

    


  1. Nuit dans la chambre du Roi.

         dans un lit à baldaquin avec rideaux rouge sombre
         le  Roi dort tandis qu’un jeune homme aux cheveux blonds
         lui retire le cœur       il a un carquois et des flèches
         et regarde un homme en pourpoint blanc
         la lumière vient de la droite par le bas
                        (songe d’un Roi  rêve d’aventure d’amour)          


parce que la nuit infiniment
la nuit         une autre       habitable
sans pensées             gisant de draps plus amples
enveloppés comme

dans l’armoire ces draps-là                     réservés
les plis jaunis           pour jamais
et les autres brodés à la noce des filles

pour toutes les nuits tissées avec le chaud
avec la main     le désir           (les regrets)

un homme cherche dans sa poitrine     et fouille
un rosier rouge tiendrait la maison et ses ruines futures

c’est le cœur qui passe avec ses  épines noires
dans la nuit de terre d’ombre
d’insomnies blanches
                                    tu serais éveillé
et l’archer (Mars ou Eros) te délivrerait.
...